[Critique] Mad Men
Série créée par Matthew Weiner, diffusée entre 2007 et 2013 sur la chaîne américaine AMC, puis sur Canal +.
Mad Men est un terme qui désigne les publicistes de l’avenue Madison, à New York. Mais en anglais, cela signifie également « les hommes fous ».
La série se déroule au sein d’une agence de publicité, Sterling & Cooper, entre 1960 et 1968. A la demande du client, l’agence fournit une stratégie commerciale, des dessins ou films publicitaires. C’est une véritable fourmilière, où chacun joue un rôle bien défini : les commerciaux négocient les contrats, puis emmènent les clients au restaurant ou dans les clubs new yorkais tandis que les artistes « créatifs » pondent campagne sur campagne, sous l’œil alcoolisé et enfumé du directeur artistique, Donald « Don » Drapper. Il y a dans l’agence une grande opposition entre les travailleurs tels que Peter, Ken ou Peggy, qui ne comptent pas leurs heures, et les dirigeants : Drapper et Roger Sterling semblent oisifs, aiment boire, fumer, faire l’amour dès qu’ils le peuvent, produisent peu d’efforts pour les campagnes publicitaires parfois durement gagnées. Mais Don Drapper sait créer quand il le faut et est un advertiser redoutable. C’est sur lui que se focalise la série…
…Sur lui, ou plutôt sur sa solitude. Au fil des saisons, il évolue sous nos yeux, mais toujours seul. Il a peu d’ami, et surtout aucun à qui confier ses doutes, ses peurs et ses angoisses, omniprésents et liés à son enfance, qu’il tait à tous. Il compose un personnage qui doit être fort, stable, confiant, enfermé dans un carcan d’homme élevé dans les années 30, en pleine dépression économique, qui n’a pas le droit de faiblir. Don est un charmeur et collectionne les aventures, bien qu’il soit marié et tente de garder l’image figée du mari classique : c’est la femme qui l’attend à la maison, bien sagement, il n’a que les pieds à mettre sous la table lorsqu’il rentre après une dure journée de labeur, parce que lui travaille, voyez-vous ! On le hait d’être si volage tout en jouant son rôle de mari et de père, mais le charisme du personnage est tel qu’il est fascinant : il nous hypnotise mais nous rebute aussi, tant il paraît suffisant, et l’ambiguïté qui apparaît au fur et à mesure s’amplifie à partir de la saison 3. Jon Hamm est parfait dans le rôle de cette homme incapable de s’engager, avec sa femme comme avec ses maîtresses. Il veut tout contrôler, et pourtant tout s’écroule dès que sa femme ou son amante réclame le droit de vivre, de décider, d’être libre. L’incertitude dans laquelle le plonge ses femmes le fait automatiquement fuir. Et il se retrouve encore et toujours seul. Jon Hamm fait de ce personnages la clé captivante et envoutante de la série.
Mad Men est aussi une affaire de femme. Trois personnages féminins sont ainsi particulièrement développées dans la série : Peggy Olson (Elisabeth Moss), secrétaire dans l’agence puis « créative », Joan Holloway (la pulpeuse Christina Hendricks), « chef » des secrétaires, et enfin Betty Drapper (January Jones), la femme de Don. Peggy représente la femme moderne des années 60 : elle travaille, est ambitieuse, évolue dans son travail au prix de beaucoup d’efforts mais aussi avec l’appui étonnant de Don. Pour faire sa place, elle doit se battre contre l’univers machiste de la publicité. Elle est également un élément essentiel de la série car elle est certainement celle qui connaît le mieux Don. Il est son mentor mais aussi son sauveur dans une situation inextricable. Enfin, Peggy suit l’évolution de la société. Comme les « créatifs » de l’agence, elle se nourrit pour son travail des influences artistiques (pop art, musique rock, etc…) et politiques, expérimente les nouvelles drogues. Elle incarne donc l’évolution, la révolution, au contraire de Betty, l’épouse propre, souriante et soumise de Don. Betty ne sait que très peu de choses de son mari, cuisine, fait du shoping. Elle passe son temps à l’attendre, tout en meublant le temps libre et en s’occupant de leurs enfants. Comme beaucoup de femme de cette époque, elle a quitté ses études et son activité de top model quand elle a épousé Don. On aimerait qu’elle se rebelle, qu’elle fasse quelque chose de sa vie, et quand on pense qu’elle est sur la bonne voie, c’est pour se retrouver à nouveau femme au foyer, mais dans un maison beaucoup plus grande ! Elle a l’impression d’évoluer (son mari est certes plus aimant et présent), mais elle déplace le problème, commun à toute une génération de femme : elle ne parvient pas à donner un véritable but à sa vie, à avoir une activité professionnelle qui équilibre sa vie familiale. Joan quant à elle, tente de trouver cette équilibre. Elle est plus libre que Peggy, mais contrairement à elle, Joan doit gérer son quotidien familial ET professionnel. On a beau se réjouir de ce combat, Joan démontre qu’il est très difficile à gagner quand on est une femme dans les années 60, même à New York !
Le rythme de la série est assez lent, mais on s’installe confortablement dans la vie de Donald Drapper et celle de l’agence. Situé entre l’univers visuel d’Hitchcock (La Mort aux trousses, Pas de printemps pour Marnie) et les publicités colorées des années 60, Mad Men est une référence incontournable de l’esthétique de cette période : les plans sont fixes, souvent lourds de sens, on joue sur la lumière chaude qui parvient dans les bureaux à travers les buildings, les costumes impeccables donnent une immense élégance à la série, les personnages sont fouillés, complexes, et se découvrent petit à petit. Le générique est un petit bijou, inspiré de l’œuvre du graphiste américain Saul Bass, collaborateur régulier pour la réalisation de leurs génériques de cinéastes comme Otto Preminger, Alfred Hitchcock, Robert Wise ou plus récemment de Martin Scorsese. Alors qu’un homme est debout dans son bureau, le décor autour de lui se désagrège, et il chute alors au travers des immeubles recouverts de publicités diverses, se fait malmener par ces images qui s’animent, pour enfin finir dans un gouffre au fond invisible. La chute est dure, infinie, mystérieuse. Mad Men ausculte ces hommes et ces femmes aspirés dans la folle spirale de la société américaine des années 60.
On avale très facilement les six saisons, et le créateur, Matthew Weiner, a eu l’intelligence de ne pas tirer sur la corde et de terminer la série en beauté. Lorsque le dernier épisode se termine, on a vraiment l’impression de quitter un ami, avec qui on a vécu, qu’on a découvert lentement, avec ses failles, ses névroses, qu’on a vu se battre pour tenter de trouver sa vraie place au milieu de ce monde, en pleine évolution, qu’il peine à comprendre. Mad Men est comme un excellent vin, plein de complexité, d’amertume et de corps, qui reste longtemps, très longtemps en tête.
Diffusée sur Canal +, la série n’est malheureusement pas visible sur le service public. L’intégrale des saisons 1 à 5 est disponible en DVD chez Metropolitan Video. La saison 6 est à paraître débt mars 2014 en DVD et Blu Ray.
Vous trouverez ici quelques exemples de l'univers visuel de Saul Bass.
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