[Critique] Philomena
de Stephen Frears.
Sorti le 8 janvier 2014.
Philomena relate l’histoire vraie de Philomena Lee, vieille irlandaise de 70 ans, qui recherche son fils, Anthony, qui lui a été arraché quand il avait 3 ans.
Sans jamais tomber dans le patos, Stephen Frears (The Queen, My beautiful laundrette, Les Liaisons dangeureuses) met en scène un scénario écrit par le comique de stand up britannique Steve Coogan, d’après le livre du journaliste Martin Sixsmith, The Lost child of Philomena Lee. Le parallèle entre l’histoire actuelle et celle de la Philomena des années 60 est constant. Cela permet de comprendre, mais surtout de transmettre la déchirure de cette mère/enfant/célibataire, qui s’attache à son enfant, que l’on culpabilise et que l’on cache, car elle a « fauté » (elle était adolescente lorsqu’elle est tombée enceinte) . Anthony a été vendu à un couple de riches américains, avec la complicité des sœurs de l’abbaye dans laquelle Philomena vivait. Qu’on ait des enfants ou pas, on ne peut pas rester insensible à la douleur qu’elle ressent lorsqu’on lui retire son fils. Sa rage est terrible, son impuissance infinie : le film dénonce les agissements des religieuses qui vendaient les enfants, violentaient les jeunes femmes, sous couvert d’une foi chrétienne bien peu charitable.
Le spectateur est le seul témoin du passé de Philomena qui est filmé par Frears comme une illustration de ce qu’elle revit, âgée, en menant ses recherches. Nous sommes les seuls à voir cette jeune femme qui hurle, filmée à travers une ouverture pratiquée dans un mur et munie de barreaux. La jeune actrice est enfermée dans ce gros plan, très symétrique, qui l’écrase et nous oppresse. Nous ressentons sa douleur, alors que, sous ses yeux, la voiture emporte loin de l’abbaye son fils qu’elle ne reverra certainement plus jamais. Plus tard dans le film, c’est Judi Dench, l’interprète de Philomena âgée de 70 ans, qui se retrouvera elle aussi enfermée dans ce cadrage.
Frears joue sur l’opposition entre les deux personnages principaux, liés dans la quête du « fils enlevé ». Martin Sixsmith (Steve Coogan) est un journaliste un peu déprimé, cynique. Lorsque Philomena lui demande de l’aider à retrouver la trace de son fils, il voit là une occasion (l’unique ?) de relancer sa carrière, après une incursion malheureuse dans le monde politique. Philomena, quant à elle, est plus humaine, ne comprend pas toujours l’ironie que pratique Martin, et vit selon d’autres valeurs que celles du journaliste : l’engagement, le courage, l’amour et le pardon, et, malgré tout ce qu’elle a subit, la foi chrétienne. Le film provoque ce décalage, qui rend Philomena tellement touchante, et instaure un humour britannique très typique, dans les dialogues comme dans certaines séquences. La « balade » en chariot à bagages à travers un terminal de l'aéroport d’Heathrow, qui montre Philomena saoulant littéralement Martin en lui racontant, avec le plus grand sérieux, le dernier roman à l’eau de rose qu’elle lit, en est un pur exemple. Face aux propos terriblement sérieux du scénario, l’humour des dialogues et de ces scènes permettent au spectateur de reprendre haleine. Cela encourage à suivre avec grand intérêt la recherche des deux personnages tout en apportant une touche de légèreté, indispensable dans cette histoire.
Martin aide Philomena par pur intérêt journalistique, dans un premier temps, mais se confronte aussi à un autre univers, très loin du sien. De son côté la vieille irlandaise se frotte à la modernité (oui, il y a bien deux peignoirs par chambre dans un grand hôtel !), à l’athéisme de Martin et à son premier voyage aux Etats-Unis : ils s’entraident mais également apprennent l’un de l’autre, découvrent et apprivoisent l’inconnu. La complicité des acteurs se sent et renforce l’échange : Judi Dench est bouleversante de dignité, de justesse et d’humanité, et Steve Coogan trouve dans Philomena certainement l’un de ses meilleurs rôles, tout à la fois drôle, équilibré et intelligent. Le duo fonctionne, porte parfaitement le récit de Philomena et nous emporte complètement.
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